« Dom Juan » de Molière. Mise en scène Emmanuel Daumas. Du 29 janvier au 6 mars 2022, Théâtre du Vieux-Colombier.
Éric Ruf m’a appelé en me demandant si je voulais mettre en scène un Molière sans décors. J‘ai choisi Dom Juan.
Quand le titre était encore Le Festin de Pierre, on parlait de « pièce à machines ». C’est sans doute le projet de Molière où les décors, justement, ont eu le plus d’importance. Des toiles peintes somptueuses. Une statue d’un homme à cheval qui bouge. Les flammes de l’enfer, des serpents et des scorpions sur une table de marbre noir, la chute dans les abimes, tout y était pour impressionner le public et faire frissonner.
Le Festin de Pierre était un grand spectacle à succès d’avant Molière. Celui des Italiens n’étant plus programmé pour la saison, la troupe du Palais Royal s’en est emparé en mettant les moyens pour que ce soit spectaculaire. Une sorte de spectacle comique d’épouvante, baroque, fantastique et sensationnel.
Et cela me plait beaucoup d’imaginer Dom Juan avec (presque) rien. Des perruques sûrement. Des choses sur la tête. Du maquillage. Des habits très simples. Quelques accessoires extravagants. Cinq acteurs pour tout faire. Une petite troupe au milieu des spectateurs. Un tréteau au centre du théâtre. Et réussir à être impressionnant quand même.
Don Juan est un athée. Un libertin. Un matérialiste comme on disait à l’époque. Il croit que deux et deux font quatre. Un point c’est tout. Il ne peut cautionner les vielles fantasmagories catholiques. Ni la notion de pêché, ni d’enfer, ni de famille, ni de monogamie, ni d’obéissance aux valeurs paternelles. Il joue avec la vérité, ment puisqu’il voit que la société ment. Il fabule pendant que « les fâcheux » qui l’entourent lui demandent de vivre dans un monde d’apparences irréelles.
Il est entouré, assaillis, poursuivi, acculé par des gens qui lui demandent de jouer un rôle. Et pourtant, on sait bien que les gens de théâtre étaient excommuniés depuis le IVe siècle. On le menace de brûler en Enfer, comme les acteurs de la Troupe, mais il aura choisi sa voie, son texte. Et inventé son mythe.
Molière décrit autour de Don Juan une société de rêveurs irrésistibles de drôlerie. Comme un chœur qui vivrait dans un songe dans lequel il voudrait l’enrôler de force. Son serviteur voudrait qu’il voie le ciel habité par un Dieu punitif et furieux. Sa femme lui demande de mentir, tout comme Pierrot, qui voudrait que Charlotte avoue un amour qu’elle n’a pas. Celle-ci se dispute avec Mathurine la passion d’un homme qu’elle connait depuis un quart d’heure. Un pauvre voudrait lui faire croire que la prière change quelque chose, des aristos énervés sont prêts à perdre famille, châteaux, pays pour un code de l’honneur, on ne peut plus archaïque et arbitraire. Son père lui reproche de ne pas être le fils dont il rêvait... Bref, Don Juan se meut dans un monde de contes, de fantasmes et d’illusions. De mensonges et de songes.
Il mise sur la vie d’avant la mort. Comme un comédien, il n’a pas peur du Diable.
Et alors oui, englué dans un monde avec une croyance totalitaire, il ne fait pas le pari de la vie bonne et de la sagesse.
Et Non.
N’est pas Spinoza qui veut.
Michel Foucault a montré comment la société du XIXe, obsédée par le péché et hyper répressive finit par mettre la sexualité au milieu de l’imaginaire de n’importe qui, fabriquant son lot de névroses et de déviances.
Molière peint une rêverie baroque, une comédie espagnole, où un homme dans l’œil du cyclone d’un monde irréel, pas toujours si loin du nôtre, invente sa vie pour qu’elle n’ait aucunes limites. Alors rabâcher le dogme ne suffira pas pour l’arrêter. Il faudra sortir l’artillerie lourde, de la sorcellerie et du merveilleux.... La machinerie du théâtre. L’illusion de l’Enfer. Dans le meilleur des cas.
Car peut-être, derrière les flammes de carton-pâte et les diableries des mystères, se cachent le sang versé par les inquisiteurs et le feu des Autodafés. La violence de la censure (Le Tartuffe est interdit en 1664 et Dom Juan créé en 1665) et de la destruction.
Mais c’est une comédie. Et il faudra être à la hauteur du grand comique de la bêtise et des idées reçues. Du manque de recul et des certitudes. De l’obscurantisme et de l’acharnement à vouloir changer les autres, que croque Molière.
La farandole des couillons, Alexandre Pavloff, Stéphane Varupenne, Jennifer Decker, Adrien Simion vont se grimer pour faire tous les rôles. Les jeunes, les vieux, les filles et les garçons, les spectres et les statues qui bougent. Les diables sur Terre et en Enfer.
Lesquels sont les plus grotesques, burlesques, épouvantables et violents ? Lesquels sont déjà morts-vivants ?
On va s’amuser avec le maquillage, et les postiches de Cécile Kretschmar.
Et en face. Au milieu. Don Juan.
Laurent Laffite. Il faudrait qu’il soit : Drôle. Arrogant. Lucide. Mystérieux. Joueur. Incompréhensible. Malin. Sensuel. Glacial. En colère. Rapide. Intrépide. Logique. Intimidant. Charmant. Affamé. Pressé. Histrionique. Dangereux. Seul. Au moins.
Et comme c’est Laurent, pudique et extravagant.
C’est un petit Théâtre. Avec il grande finale ! Comme nos vies.
P. S. On saura rester un peu flou sur les questions de responsabilité du Mal. Et de poules et d’œufs... Pour que la question puisse rester en suspend autant que faire se peut.
Emmanuel Daumas, juin 2021
Photo de répétitions © Christophe Raynaud de Lage
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POUR LA SAISON 24-25
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